Un sens à l’invalidité

Un cheminement, qui part de l’ignorance, qui passe par le déni, et qui aboutit à une nouvelle réalité
Les débuts:
Je suis un homme de 50 ans et je vis avec l’épilepsie. Du moins j’apprends à vivre avec. Si je reviens au tout début de mes premiers épisodes d’épilepsie, ce sont des absences. J’ai environ 25 ans. Il m’arrive de me sentir bizarre. Ce sont de courts moments où je ne comprends pas ce qui se passe. C’est un peu comme un moment de déjà vu. Ça n’arrive pas souvent, mais à force de ressentir ces moments, je me demande ce qui est en train de se passer. Est-ce que je suis en train de devenir fou? Est-ce qu’il y a une autre dimension qui veut entrer en contact avec moi? Je ne comprends pas. J’en ai parlé à quelques personnes, mais à part me trouver bizarre, il n’y avait personne pour m’expliquer quoi que ce soit.
Lorsque j’ai rencontré ma conjointe Karina en 2003, je lui ai fait part de ces moments. J’appelais ça des “buzz” . C’était difficile de décrire ce que ça me faisait. Je ne savais pas encore que ces moments, sans que je m’en aperçoive, devenaient de plus en plus longs. Je me souviens que souvent, mon réflexe était de demander si tout était correct. Comme si je n’étais pas certain d’être à la bonne place. Pourtant, il n’y avait jamais rien de pas correct. Karina ne s’en rendait même pas compte à ce moment-là quand ça m’arrivait. Je vais spécifier ici que même si ça ne durait que quelques secondes, à cette époque je travaillais sur la route entre Montréal et Sherbrooke. J’étais la plupart du temps en train de conduire pour aller visiter des magasins de disques, ou pour aller pratiquer, ou pour aller faire des spectacles avec le groupe dans lequel j’étais batteur. Et j’adore conduire! Que ce soit pour le travail ou pour les vacances, conduire a toujours été pour moi un grand plaisir! Alors à cette époque, le mot épilepsie ne faisait pas partie de mon vocabulaire. Il m’est quand même arrivé de vivre de ces moments pendant que j’étais sur la 10, sur un pont ou sur une route de campagne. Mais… toujours la même question me venait “Y a tu quelqu’un qui veut me parler?!” Et jamais je ne pensais que j’étais en train de faire un épisode épileptique.
Le déni et le coup de masse:
Plus les années ont passé, plus ces épisodes se sont allongés. Au point où Karina a commencé à s’en rendre compte. J’en ai eu en conduisant, sur la route en famille, où Karina, de sa place du passager, devait prendre le volant de sa main gauche car je n’étais plus là l’espace de quelques secondes. Elle avait beau me dire que ce n’était pas normal et que je devrais aller consulter un médecin pour voir ce que c’était. Je lui répondais toujours que j’étais sur la liste pour avoir un médecin de famille et que j’en parlerais quand j’aurais un rendez-vous. Mais je me suis mis à avoir ces moments un peu partout. Soit, à la maison, ou dans une rencontre de parents avec la professeure de première année de Mia, ou pendant qu’on était dans une discussion Facetime avec mes beaux-parents.
À partir de 2009 j’ai travaillé deux saisons dans un vignoble. Le plus gros de mon travail consistait à conduire les différents tracteurs. Je travaillais aussi avec des scies à chaîne des coupe haies…. Bref, divers outils avec des moteurs et des lames! Et j’avais des épisodes assez régulièrement. Assez pour que mes collègues / amis s’en aperçoivent. À ce moment-là, j’ai commencé à hyper saliver et à avoir un réflexe de mastication quand ça arrivait.
Les gars voyaient bien que je perdais la carte pour un bout, sans pour autant tomber par terre. Karina aussi s’en rendait bien compte, elle me reparlait souvent du médecin, mais moi j’avais toujours la même réponse du médecin de famille. Il a fallu un soir où trois amis sont venus souper à la maison et que la blonde d’un des gars nous dise que ce qu’on lui décrivait ressemblait beaucoup au “petit mal”. (Absence / épisode d’épilepsie sans convulsion), dont son frère souffrait aussi. À la gang, ils m’ont convaincu d’aller consulter. Au grand damne de Karina qui était au désespoir que je ne l’écoute pas et que je me fasse convaincre par mes amis et collègues de travail.
Le lundi suivant, j’étais sur la route pour aller faire des travaux dans la maison du vignoble. Et c’est là que j’ai vécu ma première longue absence au volant. J’ai pris le champ. J’ai voulu faire croire qu’un chat avait soudainement sauté sur la route et que j’avais voulu l’éviter. Mais j’ai vite avoué ce qui était arrivé. J’avais la réalité en pleine face. Première arrêt de conduire d’une longue série. C’était en 2011. C’est aussi durant cet hiver là que j’ai fait mes trois premières crises convulsives … dans la même journée, que j’ai dû être hospitalisé et que j’ai reçu un diagnostic d’épilepsie et de tumeur bénigne au cerveau. Depuis, j’ai subi trois opérations, et encore aujourd’hui en 2025, on a toujours pas réussi à contrôler l’épilepsie.
Un apprentissage pour vivre avec une nouvelle condition, une nouvelle réalité:
Dernièrement, j’ai rouvert un texte que j’avais commencé à écrire au mois de septembre 2023, sur la condition d’invalidité qui se pointait devant moi. Ce qui ressort de ce texte c’est l’accent que j’ai mis sur tous les emplois que j’ai eu depuis l’âge de 15 ans. Du fait que je n’avais jamais cessé de travailler. Dans le fond, je me décris comme un bon travaillant. Un vaillant. Aujourd’hui, j’apprends à vivre avec ce statut d’invalidité. Cette réalité flou qui, certains jours, me met face à un grand vide. La réflexion que je me fais présentement, c’est que lorsque que l’invalidité en question a un lien direct avec le sens de l’organisation, la diminution des différentes mémoires, la concentration et les limitations au quotidien… ça se peut que des fois le vide me rentre dedans.
Cette nouvelle situation parfois, me fait vivre beaucoup d’anxiété. Souvent je ressens de la tristesse, de la colère envers cette condition et même envers moi-même. La culpabilité est un sentiment qui me revient souvent aussi et j’apprends tranquillement à me ramener à l’essentiel. Ce n’est pas par ma condition que je vais me définir, mais plutôt par mes forces encore présentes. Car il y en a encore beaucoup, même s’il reste beaucoup de chemin à faire. Je suis en apprentissage.
On me parle souvent de courage, de résilience, de force, de combat… J’ai souvent entendu le commentaire “Je n’aurais jamais pu passer à travers ce que tu as passé…” Mais moi je ne le vois pas ainsi. Pour moi dans mon esprit, mon idée est claire. Tu ne peux pas concevoir vivre une expérience ou une épreuve d’une telle envergure….tant que tu n’es pas dedans. J’ai été une personne en bonne santé, avec une vie active, pendant longtemps. En 2011 j’ai reçu ce diagnostic d’épilepsie et de tumeur au cerveau qui a fait changer ma façon et mes capacités de vivre mon quotidien. J’avais une famille, on avait Mia, qui était alors une petite fille de six ans, une maison. Pour moi à ce moment-là, ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Un sprint. Je serais opéré, je prendrais de la médication le
temps que l’opération règle mon “problème”. Mais aujourd’hui, trois opérations au cerveau plus tard, multi médicamenté, avec une épilepsie réfractaire, c’est un marathon qu’on vit au quotidien depuis 14 ans.
Depuis cette année-là j’ai tout fait pour toujours reprendre une vie dite “normale”. Reprendre le travail, voir des gens, faire de la musique ou carrément changer de travail et restreindre les horaires pour pouvoir l’adapter à ma condition. Que ce soit après des crises d’épilepsie, ou des chirurgies, j’ai toujours voulu reprendre le travail et le cours de ma vie. Mais sans vraiment en être capable. En réalité, toute mon énergie passait dans le travail. Je n’en avait pour rien d’autre. Ma vie sociale et mes loisirs en ont pris un coup. Mais c’est notre vie de couple et familiale qui en ont été les principales victimes.
Durant l’hiver 2023, après la troisième opération de août 2022, pour la première fois de ma vie, j’ai ressenti la peur à l’idée de retourner au travail. Je n’avais aucune idée de comment je pourrais faire pour réussir à soutenir un horaire stable, être efficace, productif. Les séquelles reliées à cette dernière chirurgie nous a mis face à l’évidence. Je devais envisager que je ne pourrais plus retourner sur le marché du travail. Ce n’est pas moi qui a amené l’idée. C’est Karina, qui vivait avec un homme qui n’était plus celui qu’elle avait connu. L’équipe médicale m’a aussi fait comprendre qu’habituellement ils poussaient des gens qui ne voulaient pas retourner au travail à y aller. Tandis que dans mon cas, ils devaient me freiner, car un retour au travail dans ma condition aurait été un échec. À cette époque Karina m’a dit, “T’sais Sébas, tu as bien essayé là… Ce n’est pas un échec si on envisage le statut d’invalidité”.
Depuis le mois d’août 2024, je reçois des rentes d’invalidité. Cependant, j’ai dû, et je dois encore parfois, accepter et assimiler cette condition. On en a parlé à plusieurs reprises, moi et Karina, ensemble et aussi avec des amis. Tous m’ont dit la même chose. “Le statut d’invalidité ce n’est que l’incapacité à exceller, à être efficace et productif dans un travail au quotidien que la société d’aujourd’hui nous impose. Ton rôle à partir de maintenant, c’est de trouver ta façon de te valider. Regarde ce que sont tes intérêts, ce que tu aimes faire. Et implique-toi dans la communauté, à ton rythme et en restant vigilant sur ta condition physique et mentale au quotidien.”
Aujourd’hui je peux dire que j’y arrive… Souvent en tout cas. L’anxiété et le sentiment de culpabilité refont souvent surface. Mais je me suis remis à la musique, qui a toujours fait partie de ma vie. On a un chien! Un fidèle ami qui m’incite à aller marcher. On a aussi des poules pondeuses dont j’adore la compagnie. J’aime passer du temps à entretenir le poulailler et prendre soin d’elles. J’aime aussi faire l’entretien et la réparation des petits moteurs. Alors j’ai réparé quelques scies à chaîne, ou outils de toute sorte pour des amis ou voisins. Ils sont avisé que je peux le faire, mais qu’ils ne doivent pas être pressés de les ravoir. Je le fais à mon rythme, quand ma concentration et mon énergie me le permettent. Je vais aussi souligner que mon cheminement serait beaucoup plus ardu si je n’avais pas un suivi régulier avec une psychologue. Et je vois aussi une ergothérapeuthe pour m’aider à restructurer mes journées et mes semaines. Le beau dans tout ça, c’est que notre couple a tenu le coup à travers ses quatorze années ou l’épilepsie est devenue soudainement comme un autre membre de la famille et qu’on a dû apprendre à vivre avec. Nous sommes restés une famille unie, et je suis rempli de gratitude envers Karina et Mia.
Bref, oui la route est longue. Les journées ne sont pas toutes bonnes, mais j’ai au moins l’impression de faire ce qu’il faut pour avancer. Karina est d’une écoute importante pour moi et elle sait aussi me ramener lorsque l’anxiété, le stress ou la panique prennent le dessus sur ma raison. On a une fille de 20 ans fantastique qui fait son chemin dans la vie et que j’admire pour la femme qu’elle devient, pour sa détermination et ses forces. Je suis bien entouré, ma famille et mes amis sont des propulseurs pour moi.
Et je vais conclure en disant que les projets qui me font m’impliquer comme en ce moment avec l’organisme Épilepsie Montérégie, me font grand bien. En voilà une chose dans laquelle je me sens valorisé à travers l’invalidité. Je me sens utile pour ma communauté en partageant mon expérience avec vous.
Merci.
Sébastien Breton