Culpabilité

Au cours des dernières années, j’ai eu plusieurs occasions de vivre de la culpabilité à cause des effets de l’épilepsie dans ma vie, les chirurgies au cerveau, les après crises… Lorsqu’on est exténué et que l’anxiété prend une place démesurée, la porte est grande ouverte pour que la culpabilité se pointe. Je comprends aujourd’hui qu’elle n’a pas d’affaire à être là. On ne demande pas à vivre ça, on n’a pas à s’excuser de ça. Ce n’est pas de ma faute. J’ai une condition qui fait que je dois respecter un rythme plus lent que je pouvais soutenir avant. Particulièrement depuis les deux dernières années. Est-ce que je vis encore de la culpabilité? Ben oui, des fois. Mais je travaille là-dessus. Ce n’est pas parce que je sais que je n’ai pas à me sentir coupable que ça n’arrive plus. Mais je peux tranquillement sortir de ce cercle vicieux désagréable, qui me mine l’esprit et la vie.
Le 2 août 2022, j’ai subi une troisième (et dernière) chirurgie au cerveau. Elle avait pour but d’enlever le foyer épileptique qui se logeait dans la zone temporale droite de mon cerveau. Étant donné qu’on n’arrivait pas à contrôler l’épilepsie par la médication que je prenais à fortes doses, et que l’épilepsie se logeait seulement à cet endroit dans mon cerveau, j’étais un bon candidat pour cette opération, qui, nous disait-on, avait de grande chance de me redonner une meilleure qualité de vie et de réduire considérablement la médication que je prenais. Cette opération était cependant plus invasive que les deux autres, puisqu’elle consistait à m’enlever une partie du lobe temporal et une partie de l’hippocampe, qui se situe derrière ce dernier. L’opération comportait bien-sûr des risques. Mais après avoir réfléchi ma conjointe Karina et moi, on a décidé d’aller de l’avant et de tenter le tout pour le tout.
Comment faire sens de sa vie maintenant?
Je souligne ici que pour les deux premières chirurgies, j’ai pu reprendre une vie presque normale et retourner au travail après trois mois de convalescence (avec toujours l’épilepsie réfractaire et les forts effets des médicaments). C’était en 2011 et 2017. Mais pour cette dernière opération, il s’est passé trois, six, douze mois. Jusqu’à la prise de conscience que je ne pourrais plus retourner faire mon travail de préposé aux bénéficiaires, ni même envisager de retourner sur le marché du travail. Cette dernière opération a laissé des séquelles importantes au niveau des différentes mémoires de travail. La concentration, l’anxiété accrue, le sens de l’organisation, et aussi au niveau du langage, l’opération m’a considérablement changé. Je suis donc maintenant en invalidité. Mais ce statut n’est pas sans conséquences au niveau personnel. Durant les deux dernières années j’ai passé par une panoplie de sentiments négatifs. Comment faire sens de sa vie maintenant? C’est tout un défi qui s’ajoute à ceux de la maladie.
Pourquoi la culpabilité?
Je crois que parfois l’épilepsie est banalisée et mal comprise. Vivre avec l’épilepsie réfractaire est un défi de taille, notamment au travail. Dans mon dernier emploi, j’ai pu bénéficier de quelques accommodements comme de travailler quatre jours par semaine, pas de soir ni de nuit et pas d’heures supplémentaires. Dans le milieu de la santé ou dans tout autre milieu, ces conditions peuvent être perçues comme un privilège par nos pairs. Ça peut créer de la frustration chez certains d’entre eux. C’est souvent palpable et même nommé des fois. Il m’est arrivé de me faire dire que j’étais chanceux… Même si je savais que les accommodements auxquels j’avais droit n’étaient pas un caprice ou un privilège que j’avais demandé, ça pesait sur le piton de la culpabilité. J’ai eu honte de vivre avec cette condition. Cependant, hormis quelques commentaires déplacés, j’ai la plupart du temps eu l’empathie de mes collègues.
La culpabilité pour moi, s’est particulièrement fait sentir depuis la dernière chirurgie de 2022 où j’ai vu mes facultés amoindries. Ça ne se passait pas comme les autres opérations et je m’en voulais de ne pas retourner au travail. Pire, je m’en voulais d’avoir peur d’y retourner. De ne pas savoir comment je pourrais être productif, efficace, organisé dans ce milieu où tout doit être bien fait et rapidement. Après six mois en arrêt de travail, j’ai commencé à me culpabiliser. À me voir comme un fainéant, un lâche, avoir honte d’être un profiteur, qui ne travaille pas et qui reçoit une paye quand même. J’ai travaillé fort pour sortir ces idées de ma tête et j’ai dû demander de l’aide. Je travaille encore là-dessus assez souvent d’ailleurs. Le côté “travail” n’est qu’une partie de cette culpabilité. Ma vie de couple, de famille et ma vie sociale sont les principaux éléments affectés par ma condition. J’apprends encore à vivre avec cette condition qu’est l’épilepsie réfractaire, et à apprivoiser le statut d’invalidité. Parfois je suis fâché contre moi parce que la médication ne contrôle toujours pas l’épilepsie. Ou que je me sens encore fatigué, déprimé, ou que j’ai mal à la tête à cause de la médication. Encore une fois, ce n’est pas de ma faute si c’est comme ça. Les effets secondaires de la médication sont envahissants et limitants. L’équilibre à trouver entre les effets de la médication et le contrôle de l’épilepsie est une grande partie du puzzle.
Le quotidien
Au moment où j’écris ces lignes, je vis une journée difficile. j’avais prévu faire des tâches dans la maison, et je me suis rendu compte que je n’avais pas l’énergie pour ça. Ça arrive des journées comme ça. Je suis actuellement en plein ajustement de médications. Il y a des effets secondaires, j’ai mal à la tête, je suis fatigué même après une nuit de 11 heures. C’est une journée où je dois me dire « Hey! C’est correct! Tu le sais que les journées ne sont pas toujours bonnes et ne pas pouvoir faire ce qui était prévu est normal ». Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour me sentir mieux. Et me voilà en train d’écrire… sur la culpabilité. C’était pour moi la bonne chose à faire. J’aime ça écrire!
Pour moi, vivre avec l’épilepsie et la condition d’invalidité est un défi de tous les jours. Les différentes restrictions sont importantes et nombreuses. Je suis un gars assez indépendant dans la vie et j’aime beaucoup bricoler. Ne pas pouvoir conduire et toujours avoir à demander à ma blonde ou à un voisin pour aller faire des commissions à la quincaillerie ou à un rendez-vous médical, ne pas pouvoir monter seul sur mon toit ou dans un échelle pour faire des réparations, ne pas pouvoir utiliser ma scie à chaîne si je suis seul, sont quelques unes des choses qui m’ont fait honte, m’ont fait sentir dépendant de tout le monde, non autonome et m’ont fait sentir coupable.
Voir ça autrement !
J’apprends à ne plus penser ainsi. Il me reste des forces importantes que je peux utiliser. Je me rends disponible et utile pour mes voisins. Je fais de la musique, j’écris. J’apprends surtout à respecter mon rythme. Le vertige commence à se résorber. Le gouffre est moins profond. J’ai encore beaucoup de chemin à faire mais je sais aussi que la vie est belle et que je pourrai y arriver. Je pense que je peux me donner une bonne tape dans le dos et me dire que je suis parti de loin. Que j’en ai bavé mais que j’ai quand même fait pas mal de chemin et que de jour en jour, la paix d’esprit regagne sa place et que je laisse la personne que je suis maintenant, se révéler à moi-même.
Un article, par Sébastien Breton